Dans quel contexte s’inscrit la création de la SFSN ?
Pr Maurine Hayot : Fondée en janvier 2025, la Société francophone de santé numérique (SFSN) est une jeune société savante qui s’appuie sur un solide héritage. Elle prolonge les travaux de plusieurs structures pionnières, d’abord l’Association nationale de télémédecine (ANTEL), devenue par la suite la Société française de télémédecine (SFT-ANTEL), puis la Société française de santé digitale (SFSD). Ces évolutions successives ont accompagné l’essor du numérique en santé et les transformations de ses pratiques comme de ses terminologies. Forte de cet ancrage, la SFSN se définit aujourd’hui comme une société savante transdisciplinaire et pluriprofessionnelle, résolument tournée vers la structuration des connaissances et le partage des meilleures pratiques dans le champ de la santé numérique et de la télésanté. Ouverte à l’ensemble de la francophonie, elle s’appuie sur les dynamiques françaises tout en s’enrichissant des modèles développés à l’international.
L’écosystème de la santé numérique est déjà dense. Quel est votre positionnement spécifique ?
La stratégie d’accélération en santé numérique a effectivement inspiré un foisonnement d’initiatives, principalement centrées sur deux axes : la formation, avec la structuration de nouveaux parcours et l’émergence d’une communauté d’experts ; et l’innovation, notamment via les tiers-lieux d’expérimentation soutenant les entreprises du secteur. Mais entre ces deux champs, un espace reste à occuper, celui du partage des savoirs, du dialogue interdisciplinaire et de la production de repères collectifs. C’est précisément le rôle que souhaite jouer la SFSN. Notre ambition est de mobiliser les connaissances issues de la recherche et des pratiques de terrain, pour élaborer des recommandations, diffuser des bonnes pratiques et accompagner les mutations en cours dans toutes leurs dimensions – organisationnelles, éthiques, pédagogiques, cliniques et scientifiques.
Comment cela se traduit-il concrètement dans votre organisation ?
La SFSN s’est structurée autour de six pôles thématiques, chacun piloté par des experts reconnus. Le pôle « Recherche » soutient et valorise la production scientifique sur le numérique en santé, le pôle « Formation » agit pour le développement des compétences, avec une attention particulière à l’éthique et à la pertinence des usages, et le pôle « Pratiques en Télésanté et Numérique » recense les projets opérationnels pour mieux documenter les usages et favoriser leur diffusion. Le pôle « Sciences Humaines et Sociales », quant à lui, propose une lecture transversale des transformations à l’œuvre, en intégrant les apports du droit, de l’éthique, de la sociologie ou encore de l’économie, tandis que le pôle « Sciences du Numérique et Intelligence Artificielle » vise à rendre accessibles ces domaines techniques complexes. Enfin, le pôle « Partenariats France et International » incarne la volonté collaborative de la SFSN. Il favorise le dialogue entre cultures, disciplines et territoires, tout en accompagnant l’appropriation des mutations numériques par les professionnels.
Il s’agit donc d’interroger la place du numérique dans la santé de demain…
Le numérique est aujourd’hui omniprésent dans les pratiques de santé, mais cela ne signifie pas, pour autant, qu’il est toujours intégré de manière harmonieuse. On observe de nombreuses initiatives locales qui se développent en marge du cadre institutionnel. Portées par des acteurs de terrain, elles répondent à des besoins très concrets et méritent d’être regardées de plus près. Elles doivent être comparées à la littérature scientifique et aux expériences internationales pour en tirer des enseignements utiles. C’est justement là que se situe le rôle de la SFSN : croiser les regards, confronter les approches, proposer des méthodes rigoureuses d’évaluation et rendre visibles les projets porteurs. Toutes les sociétés savantes de spécialités intègrent désormais le numérique à leur réflexion. Notre mission est de proposer une lecture transversale, d’articuler les savoirs et les pratiques dans une perspective intégrée et collective.
Mais la recherche dans ce domaine présente des spécificités…
Effectivement, contrairement aux médicaments, les essais cliniques randomisés contrôlés ne sont pas applicables pour évaluer les usages du numérique en santé. Il faut donc adopter d’autres approches. L’acceptabilité des outils constitue un indicateur essentiel, largement documenté par la littérature. Mais il faut également comprendre pourquoi certains dispositifs fonctionnent sur le terrain, quels sont les leviers de leur succès, comment ils peuvent être transposés ailleurs. C’est une recherche ancrée dans les usages, qui doit pouvoir éclairer l’action.
Quels sont les prochains jalons pour la SFSN ?
La priorité est de faire vivre cette nouvelle dynamique et d’installer durablement la SFSN dans le paysage sanitaire. Nous avons d’ores et déjà tissé des liens solides avec les institutions, comme en témoignent notre contribution aux travaux sur la stratégie nationale d’IA en santé, à l’invitation de la Délégation ministérielle au numérique en santé, et notre participation aux Assises de la télémédecine, organisées par l’Assurance maladie et la DGOS. Nous développons également des partenariats avec des sociétés savantes de spécialités, comme la Société française de cardiologie, particulièrement active sur le champ du numérique. À l’international, plusieurs collaborations sont en cours, en Europe, au Canada, en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne. Ces projets devraient se concrétiser dans les mois à venir. Mais le rendez-vous majeur de cette première année sera sans doute la tenue des premières Assises de la SFSN, prévues les 11 et 12 décembre 2025 à Montpellier. Elles permettront de dresser un premier bilan, de valoriser les actions engagées et de faire émerger des orientations concrètes pour l’avenir.
Le mot de la fin ?
Même si le numérique est désormais indissociable des parcours de soins, nous vivons un moment de bascule. Aujourd’hui encore, les actes numériques sont souvent considérés comme distincts des actes en présentiels. Cette séparation est-elle encore pertinente, alors que le numérique est devenu une composante « naturelle » de nos vies ? Il est temps de penser des parcours véritablement hybrides, associant distanciel et présentiel de manière fluide, coordonnée et adaptée aux besoins. Mais cette intégration soulève de vraies questions : quel modèle économique adopter ? Quelles organisations mettre en place ? Qui sera le mieux placé pour piloter ces nouveaux modèles ? Un médecin ? Un infirmier en pratique avancée ? Un nouveau métier, comme les gestionnaires de cas, ayant fait ses preuves au Québec ? Il faudrait maîtriser l’ingénierie des organisations et faire émerger des fonctions de coordination qui n’existent pas encore. Ces questions sont au cœur de nos réflexions. Elles incluent aussi les transformations liées à l’essor de l’intelligence artificielle, dont les applications doivent être pensées dès maintenant pour accompagner l’évolution des compétences et des métiers. Mais après tout, ces interrogations ne sont pas sans précédent : chaque grande avancée en médecine a soulevé ses propres défis. Ce que nous vivons aujourd’hui n’est qu’une étape de plus, essentielle et stimulante, que nous avons la responsabilité de construire collectivement.
> Plus d’informations sur le site de la SFSN.
> Article paru dans Hospitalia #70, édition de septembre 2025, à lire ici
Pr Maurine Hayot : Fondée en janvier 2025, la Société francophone de santé numérique (SFSN) est une jeune société savante qui s’appuie sur un solide héritage. Elle prolonge les travaux de plusieurs structures pionnières, d’abord l’Association nationale de télémédecine (ANTEL), devenue par la suite la Société française de télémédecine (SFT-ANTEL), puis la Société française de santé digitale (SFSD). Ces évolutions successives ont accompagné l’essor du numérique en santé et les transformations de ses pratiques comme de ses terminologies. Forte de cet ancrage, la SFSN se définit aujourd’hui comme une société savante transdisciplinaire et pluriprofessionnelle, résolument tournée vers la structuration des connaissances et le partage des meilleures pratiques dans le champ de la santé numérique et de la télésanté. Ouverte à l’ensemble de la francophonie, elle s’appuie sur les dynamiques françaises tout en s’enrichissant des modèles développés à l’international.
L’écosystème de la santé numérique est déjà dense. Quel est votre positionnement spécifique ?
La stratégie d’accélération en santé numérique a effectivement inspiré un foisonnement d’initiatives, principalement centrées sur deux axes : la formation, avec la structuration de nouveaux parcours et l’émergence d’une communauté d’experts ; et l’innovation, notamment via les tiers-lieux d’expérimentation soutenant les entreprises du secteur. Mais entre ces deux champs, un espace reste à occuper, celui du partage des savoirs, du dialogue interdisciplinaire et de la production de repères collectifs. C’est précisément le rôle que souhaite jouer la SFSN. Notre ambition est de mobiliser les connaissances issues de la recherche et des pratiques de terrain, pour élaborer des recommandations, diffuser des bonnes pratiques et accompagner les mutations en cours dans toutes leurs dimensions – organisationnelles, éthiques, pédagogiques, cliniques et scientifiques.
Comment cela se traduit-il concrètement dans votre organisation ?
La SFSN s’est structurée autour de six pôles thématiques, chacun piloté par des experts reconnus. Le pôle « Recherche » soutient et valorise la production scientifique sur le numérique en santé, le pôle « Formation » agit pour le développement des compétences, avec une attention particulière à l’éthique et à la pertinence des usages, et le pôle « Pratiques en Télésanté et Numérique » recense les projets opérationnels pour mieux documenter les usages et favoriser leur diffusion. Le pôle « Sciences Humaines et Sociales », quant à lui, propose une lecture transversale des transformations à l’œuvre, en intégrant les apports du droit, de l’éthique, de la sociologie ou encore de l’économie, tandis que le pôle « Sciences du Numérique et Intelligence Artificielle » vise à rendre accessibles ces domaines techniques complexes. Enfin, le pôle « Partenariats France et International » incarne la volonté collaborative de la SFSN. Il favorise le dialogue entre cultures, disciplines et territoires, tout en accompagnant l’appropriation des mutations numériques par les professionnels.
Il s’agit donc d’interroger la place du numérique dans la santé de demain…
Le numérique est aujourd’hui omniprésent dans les pratiques de santé, mais cela ne signifie pas, pour autant, qu’il est toujours intégré de manière harmonieuse. On observe de nombreuses initiatives locales qui se développent en marge du cadre institutionnel. Portées par des acteurs de terrain, elles répondent à des besoins très concrets et méritent d’être regardées de plus près. Elles doivent être comparées à la littérature scientifique et aux expériences internationales pour en tirer des enseignements utiles. C’est justement là que se situe le rôle de la SFSN : croiser les regards, confronter les approches, proposer des méthodes rigoureuses d’évaluation et rendre visibles les projets porteurs. Toutes les sociétés savantes de spécialités intègrent désormais le numérique à leur réflexion. Notre mission est de proposer une lecture transversale, d’articuler les savoirs et les pratiques dans une perspective intégrée et collective.
Mais la recherche dans ce domaine présente des spécificités…
Effectivement, contrairement aux médicaments, les essais cliniques randomisés contrôlés ne sont pas applicables pour évaluer les usages du numérique en santé. Il faut donc adopter d’autres approches. L’acceptabilité des outils constitue un indicateur essentiel, largement documenté par la littérature. Mais il faut également comprendre pourquoi certains dispositifs fonctionnent sur le terrain, quels sont les leviers de leur succès, comment ils peuvent être transposés ailleurs. C’est une recherche ancrée dans les usages, qui doit pouvoir éclairer l’action.
Quels sont les prochains jalons pour la SFSN ?
La priorité est de faire vivre cette nouvelle dynamique et d’installer durablement la SFSN dans le paysage sanitaire. Nous avons d’ores et déjà tissé des liens solides avec les institutions, comme en témoignent notre contribution aux travaux sur la stratégie nationale d’IA en santé, à l’invitation de la Délégation ministérielle au numérique en santé, et notre participation aux Assises de la télémédecine, organisées par l’Assurance maladie et la DGOS. Nous développons également des partenariats avec des sociétés savantes de spécialités, comme la Société française de cardiologie, particulièrement active sur le champ du numérique. À l’international, plusieurs collaborations sont en cours, en Europe, au Canada, en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne. Ces projets devraient se concrétiser dans les mois à venir. Mais le rendez-vous majeur de cette première année sera sans doute la tenue des premières Assises de la SFSN, prévues les 11 et 12 décembre 2025 à Montpellier. Elles permettront de dresser un premier bilan, de valoriser les actions engagées et de faire émerger des orientations concrètes pour l’avenir.
Le mot de la fin ?
Même si le numérique est désormais indissociable des parcours de soins, nous vivons un moment de bascule. Aujourd’hui encore, les actes numériques sont souvent considérés comme distincts des actes en présentiels. Cette séparation est-elle encore pertinente, alors que le numérique est devenu une composante « naturelle » de nos vies ? Il est temps de penser des parcours véritablement hybrides, associant distanciel et présentiel de manière fluide, coordonnée et adaptée aux besoins. Mais cette intégration soulève de vraies questions : quel modèle économique adopter ? Quelles organisations mettre en place ? Qui sera le mieux placé pour piloter ces nouveaux modèles ? Un médecin ? Un infirmier en pratique avancée ? Un nouveau métier, comme les gestionnaires de cas, ayant fait ses preuves au Québec ? Il faudrait maîtriser l’ingénierie des organisations et faire émerger des fonctions de coordination qui n’existent pas encore. Ces questions sont au cœur de nos réflexions. Elles incluent aussi les transformations liées à l’essor de l’intelligence artificielle, dont les applications doivent être pensées dès maintenant pour accompagner l’évolution des compétences et des métiers. Mais après tout, ces interrogations ne sont pas sans précédent : chaque grande avancée en médecine a soulevé ses propres défis. Ce que nous vivons aujourd’hui n’est qu’une étape de plus, essentielle et stimulante, que nous avons la responsabilité de construire collectivement.
> Plus d’informations sur le site de la SFSN.
> Article paru dans Hospitalia #70, édition de septembre 2025, à lire ici










